Master class
Michel Fau
Pour la première Master Class de notre école de théâtre Le Foyer - Cours d'Art Dramatique, nous avons eu l'immense plaisir d'accueillir Michel Fau. Comédien, chanteur, metteur en scène de théâtre et d'opéra, diplômé du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, Michel Fau est un artiste aux talents multiples. Il incarne l'art de la démesure, déconcerte, et pousse son amour du théâtre dans les recoins les plus inattendus. Un artiste qui jongle allègrement entre grands classiques, boulevards déjantés, créations et cabarets transformistes, celui pour qui "n'appartenir à aucune chapelle est un combat".
La dispute de Marivaux
La Dispute fait partie des dernières pièces écrites par Marivaux. Les thèmes abordés ici résonnent dans toute son œuvre qui a révolutionné le genre de la comédie sentimentale.
L'objet de cette pièce est de découvrir qui de la femme ou de l'homme a donné les premiers signes de l'inconstance en amour. Afin de lever le voile sur cette origine, une expérience a été mise en place : plusieurs enfants ont été isolés et élevés séparément dans une forêt dès leur naissance. Chacun de ces enfants ne connait encore que les deux personnes qui se sont chargées de les élever, ces personnes ont été choisies de couleur, afin que leurs élèves soient davantage étonnés quand ils verraient d'autres hommes. Le but est vraiment de les lâcher vierges de tous préjugés dans le grand monde, qu'ils puissent s'émerveiller ou se méfier de tout et de tous afin que leur jugement ne soit pas influencé de quelque manière que ce soit. Le jour vient où on leur laisse la liberté de sortir de leur enceinte et de connaître le monde. Au commencement de la pièce, l'expérience touche à son terme.
Ainsi, la scène travaillée ici est celle de la rencontre de deux de ces sujets : Azor et Eglé.
Ces deux personnages découvrent le monde pour la première fois (ils ne savent rien de la jalousie, de l'amour, de l'espièglerie, ni du désir), mais ils découvrent également qu'il existe en ce nouveau monde des personnes qui leur ressemblent.
"Qu'est-ce que c'est que cela, une personne comme moi ?... N'approchez point. "
Ils sont méfiants, et, au même titre qu'ils se découvrent l'un l'autre, ils se découvrent personnellement à travers l'image que l'autre leur renvoie. Ils apprennent à aimer et à s'aimer eux-mêmes, à se comparer.
Aux deux élèves qui présentent cette première scène, Michel Fau rappelle que Marivaux a été très influencé par théâtre de la commedia dell'arte, ainsi il faut pousser plus loin le côté animal. Ces deux jeunes gens ne connaissent que ceux qui les ont élevés, ils doivent manifester plus de surprise et de terreur en se découvrant.
Il ajoute, à l'adresse du jeune comédien interprétant Azor : "Tu entres en scène avec trop de grâce, comme un danseur !". Et de conseiller de regarder Laurence Olivier dans Othello pour s'inspirer de la démarche et des différentes postures, afin de salir un peu ce maintien trop conventionnel qui ne convient pas dans le cas où les personnages arrivent frais éclos au monde.
La difficulté de cette scène est de réussir à trouver d'une part ce comportement animal, et d'autre part, d'entretenir une certaine naïveté, de renouveler sans cesse la surprise : la surprise d'Eglé en découvrant son reflet dans l'eau du ruisseau, la surprise lors de sa rencontre avec Azor, l'émotion du premier contact, le premier baiser, la découverte d'un sentiment, tout ceci mêlé à la crainte et à l'excitation.
Il faut pouvoir tout oublier pour que tout nous surprenne encore.
Le Tartuffe de Molière
Deux autres élèves s'emparent du plateau pour présenter au public une scène du Tartuffe, dans laquelle Marianne annonce à son amant Valère que son père veut lui faire épouser Tartuffe. Valère lui reproche de ne pas avoir refusé spontanément cette union et entreprend de mettre son amour à l'épreuve en lui conseillant d'obéir à son père : "Je vous conseille, moi, de prendre cet époux !"
La scène est jouée d'un bout à l'autre sous le regard attentif de Michel Fau. "Vous jouez bien ce n'est pas le problème, observe-t-il. Ce qui est intéressant c'est d'aller plus loin... On est dans un théâtre où la réalité est sublime, c'est pour ça que c'est en alexandrins… On respire quand on a besoin de respirer, pas à la fin de la phrase. L'alexandrin n'est pas une contrainte mais le fil de la pensée. Au XVIIe siècle ils ne réfléchissent pas avant de parler. Ils réfléchissent en parlant. Il faut parler un peu moins vite."
Et d'ajouter : "Vous jouez comme si c'était une scène de tous les jours. Il faut que ce soit une scène d'exception. Plus tragique, plus drôle. Tragique, ça veut dire que l'on perd le contrôle de ce qui vous arrive. Il faut le jouer comme si c'était une catastrophe. Reprenons !"
Les notions de tragique et de comique sont abordées ici, les deux personnages vivant une tragédie où chacun d'eux attendant de l'autre qu'il réaffirme son amour, le pensant perdu, et la comédie est pour le spectateur bien conscient de leur amour réciproque.
Lorsque les deux jeunes comédiens reprennent à nouveau la scène, les remarques de Michel Fau ont visé juste, donnant cette fois une toute autre dimension à la scène.
"Quand vous saurez jouer la tragédie et le vaudeville, ça vous servira pour tout ce que vous jouerez après", conclut-il bienveillant.
Britannicus de Racine
La plume merveilleuse de Racine vient maintenant nous chatouiller les oreilles. Quel bonheur ! La scène qui nous est présentée ici démontre une confrontation de la mère et son fils. Durant cet affront, Agrippine se livre à un vigoureux plaidoyer pour retrouver sa place aux côtés de son fils Néron. Elle lui reproche son manque de reconnaissance traduit par son éloignement, par l'exil qu'il a ordonné de son conseiller Pallas, et ses soupçons sur l'intention de cette dernière de monter Britannicus contre lui.
"Que je suis malheureuse ! Et par quelle infortune - Faut-il que tous mes soins me rendent importune ?"
"Encore une fois on a affaire à deux monstres : Néron et Agrippine, la sœur de Caligula. C'est la décadence la plus totale. Elle a tout fait pour mettre ce fils au pouvoir. C'est un amour terrifiant, mais un amour, précise Michel Fau. Agrippine voit sa vie défiler devant elle, elle joue le passif. Elle a consacré sa vie à son fils, il la trahit. Elle entrevoit sa mort. Tu dois avoir l'impression de te perdre dans le labyrinthe de cette vie, comme si tu parlais en état de somnambulisme. Ça ne se joue pas comme un épisode de Julie Lescaut ironise-t-il. Regardez Les Damnés de Visconti."
Au garçon qui incarne Néron, les directives de Michel Fau vont radicalement modifier la présence : "Tu n'en peux plus, elle t'as bousillé la vie. Quand tu exploses, ne te lève pas à ce moment-là, pour que l'on ait l'effet de surprise… Quand tu l'écoutes il faut qu'on sente que tu veux la tuer ou la prendre dans tes bras".
Souvent, nous pensons à tort, quand nous ne parlons pas en scène, que nous n'avons rien à faire, c'est faux. Le plus dur c'est de ne rien faire, le rôle de Néron au début de cette scène en est un parfait exemple. Pour Michel Fau, "un rôle silencieux est d'abord un rôle". Généralement, le public regardera celui qui ne parle pas, il attendra de lui un geste, une réaction. Si nous ne sommes pas à ce moment là entièrement à l'écoute de notre partenaire, d'une part ses propos ne seront pas mis en valeur, d'autre part, la scène perdra toute sa tension. Il faut savoir s'oublier et en même temps être complètement à l'autre !
Un amour qui ne finit pas d'André Roussin
"Ce qui est intéressant c'est la neige et le feu, le contraste pour représenter l'être humain qui est rarement en demi-teintes."
Michel Fau
C'est un extrait d'une pièce que Michel Fau connaît bien qui clôt la séance ! Un amour qui ne finit pas vient d'être mis en scène et joué par Michel Fau où il interprétait le rôle de Jean aux côtés de Léa Drucker.
Jean, le personnage principal poursuit l'amour idéal, l'amour qui ne finirait pas, et décide d'entreprendre une relation épistolaire et donc totalement platonique avec une femme qu'il rencontre lors d'un séjour en cure. Peu à peu leur relation se complique : lui, comme elle, sont déjà mariés. Le rideau s'ouvre donc sur cette première rencontre.
C'est du prologue dont il est question ici, et afin de cueillir le spectateur, il est nécessaire d'attaquer avec un niveau de jeu très haut.
"Je veux vivre enfin un amour qui ne finisse pas, qu'il n'y ait pas une femme a obtenir dont on regrette ensuite qu'elle se soit laissée prendre."
"Il y a une situation extrême dès le commencement. Un inconnu veut dire à cette femme qu'il vient de rencontrer des choses qu'elle n'a jamais entendues. Elle est inquiète et charmée à la fois", explique Michel Fau. La proposition de l'homme d'un amour parfait et platonique est assez égocentrique, il la prend pour un objet , mais c'est aussi une expérience nouvelle pour lui.
Cette scène de rencontre présente des similitudes avec celle de La Dispute que nous avons vu plus tôt. Deux êtres qui ne se connaissent pas se découvrent l'un l'autre, moralement cette fois-ci. Il est important ici d'être dans l'écoute et en lecture de son partenaire. L'homme ne connaît pas cette femme, la femme ne connaît pas les intentions de cet homme. Pour lui, il s'agit ici d'être en action sur elle, la parole étant le principal moyen d'action au théâtre, il la découvre en même temps qu'il lui explique ses envies.
Il faut chercher à surprendre l'autre, et savoir se laisser surprendre soi-même, c'est en ce sens que Michel Fau précise : "Je ne pense jamais un rôle de façon globale mais réplique après réplique."
Cette Master Class a eu lieu le 3 novembre 2015.
Biographie de Michel Fau
Initié très tôt au théâtre par sa mère qui l'emmène souvent à l'Opéra de Bordeaux, il est saisi par ce monde merveilleux : il veut jouer et mettre en scène !
Il quitte alors sa ville natale à 18 ans après quelques années d'études au Conservatoire d'Agen et rentre au Conservatoire National Supérieur de Paris en 1986.
"Un clown tragique", c'est ainsi que le qualifie Michel Bouquet son professeur ; aujourd'hui Michel Fau considère qu'il avait vu juste et déclare que "le burlesque n'est intéressant que s'il y a de l'effroi derrière". C'est une certitude qui le guide lorsqu'il met en scène des grands classiques comme Tosca de Puccini en 2003.
Il aura par la suite l'occasion de mettre en scène Michel Bouquet Le Tartuffe, mais également des comédiens comme Catherine Frot dans Fleur de Cactus, Léa Drucker dans Un amour qui ne finit pas, ou encore Julie Depardieu dans Le Misanthrope.
Dans les années 90, il devient l'un des acteurs fétiches d'Olivier Py, Et c'est sous sa direction qu'il conquiert sa liberté artistique, ayant des rôles écrit pour sur mesure. "Le travestissement, l'artifice, le masque , le déguisement, pour moi c'est l'essence du théâtre depuis la nuit des temps" affirme Michel Fau. En témoignent ses apparitions délurées lors de la cérémonie des Molières.
Peu à peu, il s'inscrit dans un courant qui lui est propre, ses interprétations et ses mises en scènes éclectiques, ambiguës, folles et extravagantes en témoignent. Au cinéma, comme au théâtre, rien ne l'effraie plus que ce qui lui est présenté comme raisonnable. Sa passion pour l'opéra donne naissance à des spectacles fabuleux, parmi tant d'autres, on retiendra son Récital emphatique, sa mise en scène du Postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam ou encore ses spectacles musicaux tels que Nevrotik Hotel joué aux Bouffes du Nord en 2018, où il interprète une diva, ancienne championne de varappe dans un hôtel kitsch de Normandie. Sa carrière florissante fait de lui l'un des comédiens et metteurs en scène les plus précieux de la scène française.
"C'est un combat de tous les jours, j'en suis fier mais c'est épuisant. J'ai envie qu'on m'aime et en même temps j'ai envie d'être à part, bref! c'est compliqué à vivre !"